Foot-Ligue 1 malienne : quand l’amateurisme freine l’envol !

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Plus de 66,7% des footballeurs évoluant en championnat d’élite du Mali n’ont pas de contrat professionnel et encore moins de salaire. En 2017, seulement sept clubs sur 18  rémunéraient leurs joueurs. Les dirigeants s’entredéchirent pour intégrer le Comité exécutif de la fédération malienne de football et se soucient très peu de la professionnalisation du championnat. Le manque de volonté politique de l’Etat et l’insuffisance des sponsors enfoncent la Ligue 1 dans les ténèbres de l’amateurisme. Conséquences : le football malien traverse une crise depuis 2015 et les joueurs souffrent. Enquête !

Créé en 1960, le championnat national de première division du Mali demeure au stade amateur. Ce n’est pas par manque de talents au vue des résultats obtenus par les équipes nationales jeunes du Mali (2 fois champions d’Afrique chez les U-17  en 2015 et 2017 et 3e mondial chez les U20 en 2015). Le problème est d’ordre administratif. Le rapport de rémunération des footballeurs du championnat de première division du Mali est révoltant. En 2017, seulement sept clubs sur 18, à savoir le Stade malien de Bamako, champion en titre (2015-2016), l’AS Réal, vice-champion, le Djoliba AC, le Club olympique de Bamako (COB), l’AS Bakaridjan, le CS Dougouwolofila et le Lafia Club de Bamako rémunéraient leurs joueurs. L’amateurisme du championnat est la cause principale du mal. A cela, s’ajoutent le problème de sponsoring, la faible affluence lors des matchs de Ligue 1 et les conflits d’intérêt personnel.

Les U-17 du Mali célébrant leur 2e victoire d’affilé à la CAN U-17 Gabon 2017

L’amateurisme et ses conséquences

Environ 447  joueurs sur 667  évoluant en championnat de première division malienne ne sont pas payés, soit plus de 66%. C’est énorme ! Ainsi, le Centre Salif Keïta (CSK),  l’Association sportive olympique de Missira (ASOM), l’Association sportive de Bamako (ASB), le Sonni AC de Gao, l’US Bougouni, ne rémunèrent quasiment pas leurs joueurs. Karim Ballo, vice-président du Centre Salif Keïta (CSK), Karamoko Tangara de l’Association Sportive de Bamako (ASB) et Lassine Traoré, joueur de l’Association olympique de Missira (Asom), reconnaissent qu’aucun joueur de leur club respectif ne perçoit de salaire. En 2017, le CSK et l’ASB avaient respectivement un effectif de 25 joueurs et 27 pour l’Asom. Lassine Traoré, ancien attaquant de l’Asom, avoue que c’est son père qui l’aidait pour qu’il puisse venir aux entraînements. La direction de l’ASB n’a pas souhaité s’exprimer après plusieurs tentatives, mais Karamoko Tangara, joueur de l’ASB, nous a confié que ce club ne paye pas et au contraire pause des problèmes lors des transferts des joueurs au plan local. «J’ai trouvé un nouveau club en 2017, mais la direction du club a refusé de me libérer. J’ai observé une année blanche pour pouvoir être qualifié avec un nouveau club. Je travaillais au marché pour subvenir à mes besoins. J’avais le sentiment d’être exploité », s’indigne le jeune avant-centre de l’ASB.

Des supporters maliens manifestant leur mécontentement de a gestion de la crise du football malien

Un membre du staff du Sonni de Gao reconnait qu’il n’y a pas de salaire fixe pour les 30 joueurs de l’équipe, mais ils perçoivent des frais de transport établi entre 35 000 et 50 000 francs CFA par mois. De son côté, Abba Sangaré, ancien gardien de l’AS Bakaridjan, du CSK et de l’Usfas  admet avoir souffert dans ces clubs respectifs.  Il dévoile que 80% de joueurs n’étaient pas payés entre 2008 et 2011, dont lui-même. Seulement, c’était en cas de victoire qu’ils bénéficiaient des primes qui variaent entre 10 000 et 30 000 francs CFA. Mamadou Doumbia de l’AS Nianan de Koulikoro avoue que 35 joueurs percevaient des sommes variant entre 25 000 à 50 000 francs CFA par mois..

Quant à Babiya Siby, capitaine de l’USC Kita et Salif Coulibaly, joueur de l’US Bougouni, ils confessent respectivement que 25 joueurs sur 35 et 15 joueurs sur 30 bénéficiaient entre 25 000 franc CFA et 50 000 par mois.

 

L’argent, le nerf de la guerre

Le problème de sponsoring au Mali joue beaucoup sur le passage du championnat malien au professionnalisme. L’Etat doit adopter une volonté politique significative pour forcer la main aux sociétés privées à sponsoriser les clubs locaux. Pour le moment, tout se concentre sur Orange Mali, sponsor officiel du football malien.

Un membre de la structure des finances de la Fédération malienne de football (Femafoot), sous le couvert de l’anonymat, admet que l’organisation du championnat national coûte annuellement environ 950 millions de francs CFA grâce au financement d’Orange Mali. Chaque équipe gagne 20 millions de francs CFA, payables en trois tranches. Une partie des fonds est destinée à payer les frais de déplacement, de restauration et d’hébergement des équipes, conformément aux dispositions des articles 48 et 49 du règlement spécial de la Ligue 1.

Selon un membre de l’ancien Comité exécutif dirigé par Boubacar Baba Diarra, la Fifa a mis environ 600 millions de francs CFA à la disposition des associations en 2017. Au Mali, cet argent a servi aux financements des programmes de gazonnage, de formation des cadres (entraîneurs et arbitres), à l’électrification des terrains, au fonctionnement du secrétariat de l’instance et à l’organisation des championnats U15, U17 Garçons et de football féminin.

Le siège de la Femafoot

S’agissant des retombées financières du championnat national, un agent comptable de la fédération, sous l’anonymat,  nous a confié que seulement deux matchs du championnat attirent le plus de monde, à savoir les oppositions Djoliba AC-Stade malien. Ces deux affiches rapportent entre 2 et 3 millions de francs CFA, repartis entre la Fédération et la Ligue de football  de Bamako. La même source indique que les recettes des matchs de l’intérieur appartiennent entièrement aux Ligues organisatrices.

Que disent les textes ?

Même si l’article 7, al.2 du règlement spécial de la Ligue 1 malienne (saison 2016-2017) stipule que « d’autres Sponsors peuvent être autorisés à contribuer au Sponsoring de la compétition, à l’exception des sociétés téléphoniques… », très peu de sponsors s’intéressent au championnat de Ligue 1 malienne.

Aussi, aucun article dans le chapitre V du statut du joueur ne donne pas de précision sur le payement des principaux acteurs (joueurs).  Le pire c’est qu’aucune disposition du règlement du championnat national ne parle du budget plafond auquel les clubs de première division doivent se soumettre.  Parce que c’est tout simplement un championnat amateur.

Depuis 2006, à Munich en Allemagne, la FIFA a posé les jalons du projet du système de licence et la CAF a placé ce système au premier rang pour le cycle 2015-2020. Le système de licence de clubs est l’outil principal de l’exode vers le professionnalisme. C’est un mode de développement conçu par la FIFA pour les confédérations et les associations membres.

En quoi la professionnalisation de la Ligue 1 malienne peut-elle être un déclic ?

Abdoulaye Konaté du COB et Salif Diakité de l’US Bougouni adhèrent à la professionnalisation du championnat pour faciliter l’acquisition des contrats pour les jeunes et améliorer la situation de ceux-ci, comme c’est le cas déjà en Côte d’Ivoire, où le championnat est diffusé sur Canal+, expliquent-ils. La professionnalisation du championnat apparait comme une nécessité selon Mamadou Massa Diallo, ancien chargé des questions de Marketing à la Fédération malienne de football. Il a conseillé aux clubs maliens d’aller vers des actionnariats, des contrats de sponsoring avec des équipementiers, l’augmentation des recettes  et la construction des infrastructures. Cela passe par le professionnalisme et permet aux clubs d’organiser leurs matchs. A cet égard, la Ligue 1 professionnelle verra le jour.

Aussi, la crise du football malien tire sa source de l’amateurisme du championnat de première division. Clairement, la création de la Ligue 1 professionnelle du Mali déchargera la Fédération qui va s’occuper de l’organisation des matchs des équipes nationales et du développement du football.

Me Dao Fatoumata Guindo, présidente du Comité de normalisation du football malien

En Côte d’Ivoire, les clubs de première division gagnent environ 100 millions de francs CFA par an contre 20 millions pour ceux du Mali. Comme ça, les clubs maliens pourraient rémunérer correctement les joueurs. La professionnalisation permet d’établir des contrats de travail pour les joueurs en leur inscrivant à l’Institut national de prévoyance sociale (Inps) et construire des infrastructures adéquates. La professionnalisation peut aboutir aussi à la sur-médiatisation des matchs du championnat. En  somme, la professionnalisation peut non seulement sonner le glas de la crise inutile que traverse le football malien. Enfin, le professionnalisme apparait aussi comme la clé de l’amélioration des conditions de vie des joueurs et des performances des équipes au plan sportif et économique.

 

Réalisée par Yacouba TANGARA

 

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